par Lucie Remer
L’étude des métabolismes des cellules cancéreuses permet de comprendre comment leur énergie est produite et quel traitement est le plus susceptible de les affecter. C’est ce que l’on appelle la médecine personnalisée.
« Jamais il n’y a eu autant de traitements disponibles. » Les mots de Jérôme Kluza, maître de conférence de l’Université de Lille et chercheur en biologie cellulaire au sein de l’unité de recherche CANTHER, sont chargés d’optimisme. Entre la chirurgie, les chimiothérapies classiques, les thérapies ciblées ou encore l’immunothérapie (voir encadré 1), le clinicien a aujourd’hui à sa disposition plusieurs possibilités pour induire la rémission des cancers. « Néanmoins, il reste le problème de déterminer quel est le traitement le plus adapté aux individus en fonction de leurs tumeurs » explique le scientifique.
La cellule cancéreuse a besoin d’énergie pour résister aux médicaments anticancéreux. La production de cette énergie dépend du métabolisme de la cellule, soit de l’ensemble des réactions participant à la fabrication d’énergie (métabolisme énergétique) et à la division cellulaire (métabolisme anabolique). « On sait qu’en fonction du métabolisme des cellules cancéreuses, les traitements ne vont pas fonctionner de la même manière. » Caractériser la tumeur d’un patient permet de déterminer le traitement le mieux adapté à sa maladie. On parle d’une médecine de précision. Cette caractérisation passe notamment par l’évaluation du métabolisme bioénergétique mitochondrial de la cellule cancéreuse..
Des cellules avides de sucres
Pour comprendre le fonctionnement d’une cellule tumorale, il faut s’intéresser à celui des cellules saines. Un tissu sain a pour objectif de produire suffisamment d’énergie (molécules d’ATP) afin d’exercer une fonction biologique, par exemple transmettre un influx nerveux dans le cas d’un neurone, ou bien se contracter s’il s’agit d’une cellule cardiaque. « Ce sont des cellules différenciées, elles ne se multiplient pas. », souligne le chercheur.
La production de cette énergie peut se faire de deux manières. En présence d’oxygène, des nutriments, dont les sucres comme le glucose, sont dégradés en une molécule, le pyruvate, qui est ensuite oxydée dans la mitochondrie (voir encadré 2). Cela permet la production de 36 molécules d’ATP. On nomme ce mécanisme « respiration cellulaire ». En absence d’oxygène, le pyruvate ne peut plus être oxydé dans les mitochondries. Il est alors transformé en acide lactique, responsable des crampes. Ce second processus, également nommé « glycolyse anaérobie » produit moins d’ATP et nécessite une captation accrue de sucre.
À l’inverse, une cellule cancéreuse est une cellule qui a perdu sa fonction initiale et dont l’unique problématique est de proliférer. « Pour cela, explique Jérôme Kluza, elle doit forcément modifier son métabolisme par rapport à une cellule saine. » En 1930, Otto Warburg, biochimiste allemand et prix Nobel de médecine, est le premier à s’intéresser à la respiration des cellules cancéreuses. « Il a découvert que les cellules cancéreuses ont un comportement qui ressemble à celui de cellules saines privées d’oxygène. » Quelle que soit la quantité d’oxygène disponible, le pyruvate obtenu à partir du glucose n’est pas oxydé dans les mitochondries. En métabolisant de grandes quantités de sucre, la cellule tumorale parvient à subvenir à ses besoins énergétiques tout en synthétisant des molécules nécessaires à sa division.
« On a longtemps pensé que les mitochondries des cellules cancéreuses ne marchaient pas du tout. » Les travaux actuels ont démontré que ces mitochondries continuent à produire de l’énergie mais s’appuient sur d’autres sources, telles que la glutamine. L’oxydation de cet acide aminé permet de synthétiser des molécules servant à la multiplication cellulaires et donc la croissance des cancers. « Si dans une cellule saine, la mitochondrie a essentiellement une fonction énergétique, dans une cellule tumorale, sa fonction est énergétique et métabolique. »
En laboratoire
Les recherches du Dr. Jérôme Kluza consistent à évaluer le métabolisme des mitochondries des cellules leucémiques. « Le niveau d’énergie que sont capables de produire les mitochondries dans les cellules tumorales a un impact sur la réponse aux traitements des patients. » explique-t-il. Travaillant au sein d’une équipe d’oncohématologie au CHU de Lille, il collecte les cellules leucémiques d’individus atteints de leucémies, les isole puis mesure la consommation d’oxygène de leurs mitochondries en fonction des traitements. « On cherche à prédire comment, en fonction de ce métabolisme, la cellule répondra aux traitements anticancéreux. » C’est ce que l’on appelle la médecine personnalisée.
D’autres recherches s’appuyant sur les mitochondries sont également menées. « Aujourd’hui, on recherche aussi des molécules capables d’altérer le métabolisme mitochondrial des cellules cancéreuses pour les affaiblir et augmenter l’efficacité des traitements conventionnels. » Encore en phase d’essai clinique, cette stratégie dite de « repositionnement de médicaments » consiste à affaiblir suffisamment les cellules tumorales et leur production d’énergie pour faciliter l’action des médicaments anticancéreux. L’idée de trouver un traitement inhibant complètement l’activité des mitochondries a quant à elle été abandonnée pour des problèmes de sélectivité.
Depuis un peu plus d’un an, la diminution mondiale des stocks de matériel de laboratoire et l’augmentation du nombre de patients atteints de leucémie et de Covid-19 ont ralenti les recherches. Les compétences des scientifiques ont cependant été mises au service de la bataille contre le virus en analysant le métabolisme énergétique des cellules immunitaires d’individus atteints de la Covid. « L’étude du métabolisme énergétique permet de lutter contre le cancer mais aussi contre d’autres pathologies », espère Jérôme Kluza.